Hughes Kolp est entré en musique sans tambour ni trompette… mais avec une guitare, le plus naturellement du monde, porté par la conviction des grands amoureux. Cet inconditionnel du Standard de Liège, qui ne renie pas sa passion du football, fait mentir les images d’Epinal des guitaristes électriques tétanisés sur une scène survoltée. Calme et concentré, il habite la scène avec une plénitude fervente, d’une simplicité sidérante de précision et d’intensité. Guitariste attitré de Musiques Nouvelles depuis 1996, il collabore à plusieurs projets (concerts, enregistrements et créations de l’ensemble) tout en continuant une activité de pédagogue, de soliste et de chambriste notamment au sein du Alki Guitar Trio (en compagnie de Magali Rischette et Adrien Brogna).
Hughes Kolp, vous entrez au Conservatoire de Liège à 16 ans, obtenez votre premier prix de guitare en 1993 et votre premier prix de flûte traversière en 1996. Qu’est-ce qui vous a donc fait opter pour la guitare?
La musique était primordiale pour mes parents, tout autant que notre parcours scolaire. J’ai deux grands frères (Pierre est devenu compositeur et est actuellement directeur de l’institut Dalcroze). Très jeunes, nous avons tous les trois pratiqué deux instruments. Notre maman, pianiste amateur, nous a appris à lire la musique. Si j’ai parlé très tard, j’ai chanté assez vite. D’ailleurs, mes souvenirs les plus anciens concernent la musique. Le premier instrument que j’ai tenu entre les mains était une guitare. J’avais quatre ans. Nous venions d’emménager à Arlon. A cette époque, il n’y avait pas de cours de guitare dispensé dans l’académie de musique de cette ville. Mes parents ont cependant pu m’octroyer un professeur passionné par la guitare et par l’enseignement. Autodidacte, il n’avait bien sûr pas de grandes compétences techniques, mais il a eu l’immense mérite de nourrir et cultiver le lien étroit qui me reliait déjà à la guitare.
Concernant la flûte traversière, le choix de la pratiquer fut celui de mon papa. A l’origine, cette décision était également liée à l’obligation d’étudier un instrument de musique dispensé au sein de l’académie d’Arlon (ce qui n’était pas à l’époque le cas de la guitare) afin de pouvoir suivre les cours de solfège. Ensuite, mes parents ont pensé que je serais mieux armé professionnellement en possédant deux premiers prix d’instruments plutôt qu’un seul. Si l’étude de la flûte s’avéra dans une certaine mesure bénéfique dans ma formation de musicien (instrument à vent, monodique en comparaison de la polyphonie et des cordes pincées de la guitare), je n’ai jamais ressenti de plaisir particulier par rapport au répertoire de cet instrument. J’ai d’ailleurs arrêté d’en jouer sitôt mon diplôme acquis.
De quelle guitare jouez-vous?
La guitare classique à 6 cordes est bien sûr mon instrument de référence. Mais je travaille aussi depuis 4 ans sur une guitare à 10 cordes. C’est une guitare traditionnelle avec l’ajout de quatre basses. Les raisons de ce choix sont multiples. L’envie de susciter des compositions de mes contemporains, le plaisir d’enfin pouvoir interpréter les œuvres de Maurice Ohana spécifiquement composées pour ce type de guitare, d’étudier le répertoire baroque de manière beaucoup plus adaptée (en référence au luth et au théorbe) et enfin la possibilité de transcrire certaines pièces du répertoire pianistique, soit pour guitare seule soit pour le Alki Guitar Trio,où mon ami et compère Adrien Brogna dispose quant à lui d’une guitare 8 cordes. Les transcriptions ont de tout temps fait partie intégrante de l’histoire de la guitare.
L’une des sources principales utilisées est la musique pour piano. Bien sûr, au vu de son immense richesse mais également parce que la majorité du répertoire de la musique espagnole du XIXème, souvent associé à la guitare, ont été composées pour le piano. La tessiture de la guitare dix cordes me permet à ce titre des possibilités de transcriptions et une aisance de jeu beaucoup plus développées.
Avez-vous été formé par une école particulière?
Après avoir été formé par Gonzalez Mohino et sa fille Maria, j’ai eu la chance de côtoyer Odaïr Assad. C’est un guitariste incroyable qui parvient à vous faire vivre la musique très intensément de manière naturelle et spontanée. En tant qu’enseignant, sa connaissance et surtout son charisme vous inspire sans jamais vous intimider ou vous bloquer. C’est également une personne très humaine, et positive.
Je dois également beaucoup à son épouse, Françoise-Emmanuelle Denis, qui dirige le label GHA, et qui m’a permis d’enregistrer un disque solo avant de produire un cd du Alki Guitar Trio. Après dix ans d’assistanat à leurs côtés au Conservatoire de Mons, je suis devenu professeur depuis 2005 au Conservatoire de Liège.
Qu’en est-il de la guitare électrique?
C’est tout une aventure! J’ai baigné dans un univers familial où la musique classique était la référence unique. Cela n’empêcha cependant pas (voire encouragea) mon deuxième frère Manuel, de 4 ans mon aîné et que je voulais bien sûr imiter, d’introduire à la maison la musique rock et hard-rock des années 70 et 80 où la guitare électrique était à son apogée!
Depuis ce moment, la musique, la scène rock et bien sûr les grands guitaristes (Van Halen, Zappa, Vai..) qui la constituent m’ont toujours fasciné. Cependant, par peur d’être mal jugé voire de perdre une certaine forme de crédibilité artistique (impression certainement erronée quand j’y repense), j’ai longtemps caché cette fascination à mes différents professeurs de musique.
Un des premiers professeurs à avoir cependant senti et compris cette «dualité» a été Jean-Paul Dessy, qui fut mon professeur de musique de chambre au Conservatoire de Liège. Il m’a encouragé à explorer mes goûts et à utiliser et parfaire ma technique de guitariste électrique, me rappelant simplement qu’aucun instrument (fût-ce la guitare électrique) ou style musical n’avaient l’apanage du mauvais ou du bon «goût artistique».Mon travail autour de la guitare électrique prend ces racines à ce moment et a été encouragé par l’invitation que Jean-Paul Dessy et Patrick Davin me firent d’intégrer en 1996 l’ensemble Musiques Nouvelles. Je dois encore les remercier pour leur confiance et leur patience, car j’ai le souvenir de débuts pour le moins peu convaincants. N’ayant jamais ou peu pratiqué l’ensemble, ne sachant pas suivre la battue du chef, j’étais souvent perdu et manquait de réflexes lors des répétitions. De plus l’utilisation d’un instrument amplifié au sein d’un orchestre acoustique requiert une certaine expérience que je ne possédais pas beaucoup.
Qu’est-ce qui vous attire dans la musique contemporaine?
Je m’y sens libre. C’est un terrain vierge, hors comparaison. La musique contemporaine me décomplexe: une création donne davantage d’espace qu’une pièce de Bach ou de Mozart qui mobilise tout un héritage de pratiques et de savoir-faire. La recherche sonore fait également souvent partie intégrante du répertoire contemporain. Si la guitare classique est d’une richesse énorme au vu de sa capacité à travailler et changer de timbres, la guitare électrique est une véritable boîte de Pandore. A cet égard, je me suis beaucoup inspiré de certains guitaristes rock dont la démarche est de reculer sans cesse les limites sonores en les poussant jusqu’à leur paroxysme. Ce phénomène se retrouve souvent dans la musique contemporaine. C’est donc une manière pour moi de réunir ces deux mondes qui me touchent. A ce titre, la réalisation dont je suis le plus fier est certainement la pièce Zap’s Init! que Claude Ledoux m’a dédiée et dont la matière première puis sa source dans l’univers de Frank Zappa et dans cette culture sonore que nous partageons tous les deux.
Vous êtes donc en recherche?
Je n’ai jamais ressenti l’envie ou le courage de déclencher les choses ou de les changer, mais j’ai toujours respecté ce qui me touchait. J’ai été éduqué dans l’apologie du beau mais j’ai compris que je ne faisais pas de la musique uniquement pour qu’elle soit belle. Quand je joue, ma volonté est qu’il se passe quelque chose qui fait sens. Pierre, mon frère, compose une musique contemporaine hyper structurelle, mathématique et souvent conceptuelle … et moi je suis aux antipodes, très instinctif. Mais nous cherchons tous les deux à coïncider avec ce que nous ressentons, plutôt qu’à ressembler à un modèle.
Que représente pour vous le mot «interpréter»?
La musique, et notamment la musique contemporaine, me permet d’interpréter au sens premier, fort de mon éducation classique: comprendre la pièce, en parler avec le compositeur, et l’interpréter. Dans la musique actuelle, chaque pièce possède souvent son système autonome que l’interprète peut, voire doit, mettre en évidence afin de la rendre la plus accessible possible au public. Dans le but de créer cette connexion entre l’œuvre et l’auditeur, l’interprète à le pouvoir d’agir, de convaincre. Etablir un lien entre la présence, la musicalité, le langage propre à l’œuvre, le vécu du musicien: voilà l’intérêt! Le public va regarder, écouter et entrer dans une histoire, que la musique soit narrative ou pas.
Jouez-vous des classiques?
Oui, bien sûr. Si j’ai beaucoup abordé mon amour du rock, la musique classique est arrivée tellement tôt dans ma vie qu’elle restera à jamais mon langage de prédilection. Mes fonctions d’enseignant et de concertiste me permettent et me donnent continuellement la chance de découvrir et, je l’espère, de progresser dans mes aptitudes de guitariste. Si je ne suis pas très friand de programmes de concerts de type chronologique comme le font souvent les guitaristes classiques, je cherche continuellement à trouver des thématiques intéressantes afin de faire découvrir toutes les richesses de mon instrument ous un angle plus spécifique, ce qui nous renvoie à la guitare à 10 cordes que j’utilise.
Que dites-vous à vos étudiants?
Je ne veux pas devenir leur référence. L’école a ses limites; il ne faut pas s’y enfermer… mais rester modeste. Être sain et équilibré. Je ne veux pas qu’ils me copient ou qu‘ils se sentent obligés de le faire. Bien sûr, je mentirais si je niais vouloir les inspirer, mais j’essaie avant tout d’être le plus intègre possible dans mon enseignement. Je leur explique mes choix et les encourage à trouver les leurs, arguant que l’on joue de manière différente à 20, 30 ou 60 ans, et qu’ils doivent avant tout trouver une authenticité dans leur pratique artistique. Quand on n’assure pas un geste, on ne doit pas s’arrêter de faire de la musique mais vouloir progresser.
Propos recueillis par Isabelle Françaix – 2012